Custer s’est fait couper les cheveux. Celui que les Indiens nommaient « Longue Chevelure » – et ses propres hommes, derrière son dos, « cul blindé » ou « fesses de fer », car il est capable de rester des journées entières à cheval – a sacrifié ses boucles blondes.
Pour certains historiens, qui ont épluché les témoignages des Cheyennes et des Sioux après la bataille, c’est ce qui explique pourquoi Custer est l’un des rares cadavres à avoir gardé son scalp : il n’avait plus aucun intérêt en tant que trophée.
Custer a refusé de croire ses éclaireurs Crows : ces vieux ennemis des Cheyennes ont trouvé trois pierres rouges, signe que les Sioux s’attendent à une grande victoire. Il n’écoute pas non plus leurs conseils, car eux ont vu l’ampleur du camp indien et savent que plus de trois mille guerriers les y attendent – en fait, ils sont plus de huit mille.
Non, il n’écoute personne, comme d’habitude. Le jeune général, celui qui a reçu le drapeau blanc des mains de Lee à Appomatox, celui qui dirige le 7ème régiment de cavalerie, sait que ses hommes ne l’aiment pas : il est arrogant, et il n’hésite pas à envoyer ses soldats à la mort sans aucune prudence. Il est courageux, il se croit invincible.
Il n’est pas inquiet car il connaît bien les Indiens : il n’est pas dans leur mentalité de livrer de « vraies » batailles : ce sont toujours des escarmouches, des combats brefs suivis de fuite. Pour eux, il vaut mieux « porter un coup » que tuer : avec un bâton, la crosse ou le canon d’un fusil, un arc, une cravache ou la main. Toucher l’ennemi au péril de sa vie pour prouver sa valeur. Le reste a beaucoup moins d’importance… Et face à plus d’un demi-millier de soldats solidement armés, quelle chance ont-ils ? Les Indiens se battent avec leurs arcs et de vieux fusils se chargeant par le canon, très peu de munitions, pas d’armes modernes. Et puis ils ne sont pas capables de mener une bataille rangée, de suivre une ligne de tactique. Et puis ce sont des Indiens.
Le 7ème régiment de cavalerie avance vers les Black Hills. Les plaines les entourent d’un brun-roux, réseau de cours d’eau parfois à sec, hauteurs où poussent des pins rabougris, collines et ravines… de très loin, d’où que l’on se trouve, se découpe la ligne brisée des montagnes noires.
Dans l’immense camp – tellement immense que les Cheyennes et les Sioux doivent faire 3 à 4 kilomètres pour aller voir leurs amis ! – chacun se prépare. Les Blancs ont été repérés depuis longtemps. Les hommes-médecine peignent les corps et les visages, distribuent les fétiches et les charmes. Crazy Horse se peint le visage : d’un côté la grêle, de l’autre les éclairs – il a eu une vision la nuit précédente. Plus petit que la moyenne – environ 1m75 –, la peau et les cheveux clairs, frêle, il est toujours resté mystérieux pour son propre peuple. Mais c’est un grand guerrier, un vrai leader.
Les Cheyennes attaquent les premiers, en récompense pour leur courage lors du massacre de la Washita. Les Oglalas de Crazy Horse sont juste derrière. La bataille dure à peine quatre heures. Huit mille guerriers qui, pour la première fois de leur histoire, respectent à la lettre la stratégie de leurs chefs et déferlent sur les 570 soldats et les 31 officiers qui plient, inexorablement, sous le nombre et la furie des hommes venant venger les massacres, les pillages, les injustices subis depuis des décennies. Ils le savent, ce sera leur dernière bataille.
À la tombée du jour, les montagnes sacrées – les Paha Sapa – sont jonchées de cadavres blancs, des corps mutilés, scalpés, démembrés ; les femmes se jettent sur les survivants pour les achever à coups de machette, arrachant les organes génitaux, prélevant les trophées… Longtemps dans la nuit, leurs hurlements de rage victorieuse feront trembler les étoiles.
Les Indiens ont gagné La bataille. Et ils savent qu’ils viennent, en même temps, de perdre la guerre.
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